Légendes et contes

Quelques légendes et contes de la Baie-des-Chaleurs

À Paspébiac et dans la Baie-des-Chaleurs, plusieurs légendes ont proliféré au sujet de créatures mythiques des eaux, de feux qui peuvent être vus de l’infini… En voici quelques-unes!

Le feu des Roussy

La légende du « feu des Roussy »; vue panoramique du village de Bathurst, N.-B. Album universel, vol. 22, no 1114 (26 août 1905), p. 536.

Les origines de cette légende sont floues. Selon les variations existantes, la légende du feu des Roussy et celle du bateau fantôme de la baie des Chaleurs se confondent parfois. La légende portant sur le vaisseau fantôme prend la forme d’un bateau en feu qu’on ne peut jamais atteindre : à mesure qu’on s’en approche, il s’éloigne.

On retrouve celle-ci chez plusieurs auteurs, surtout acadiens. L’ethnologue Catherine Jolicoeur a même recueilli 1 074 histoires du bateau fantôme! Dans le livre Plages et grèves de la Gaspésie, on souligne qu’il existe une version dans les manuscrits de Mgr Auguste Allard, mais qu’elle aurait originellement été rédigée par Mgr Théophile Allard, fondateur du Collège de Caraquet.

En bref, plusieurs versions de cette légende existent. On peut aussi penser à celle de Gail MacMillan, de la version des habitants de Barthurst, du Marquis de Malauze (qui attache cette histoire à la chute de Restigouche de 1760 et à l’épave du Malauze). 

Version de Ferland (1836)

La plus ancienne mention de cette légende proviendrait de Jean-Baptiste-Antoine Ferland, dont un extrait est présenté dans la section du présent site Web.

Dans cet ouvrage, il parlera en effet d’un bateau fantôme :

« Vers midi, nous sommes sous voile. Le vent tombe; un calme plat nous arrête vis-à-vis des pêcheries de la Nouvelle. Nous espérions arriver de bonne heure à Paspébiac; il faut remettre la partie à demain. Cependant, le temps est si beau et les causeries sur le gaillard d’arrière sont si gaies, que personne ne s’aperçoit du contretemps. Le soleil se couche dans toute sa gloire et éclaire de ses derniers rayons un ciel sans nuage; à l’occident, le crépuscule déploie lentement son manteau d’or et de pourpre; à l’orient, les côtes basses du Chippagan se dessinent, comme une longue bande qui se confond avec l’azur de la mer. À mesure que l’obscurité s’étend sur l’horizon, les feux allumés sur le banc de Paspébiac lancent des jets d’une lumière rougeâtre, qui tremblent sur la surface ridée des eaux, et produisent à cette distance un effet lugubre, Les feux, placés souvent en plein air, sur cette pointe basse et avancée, étant reproduits par le mirage, ne seraient-ils pas la cause réelle du phénomène, connu dans les environs sous le nom de feu des Roussi? Suivant les rapports de ceux qui disent l’avoir examiné, une flamme bleuâtre s’élève par fois au sein de la mer, à mi-distance entre Caraquet et Paspébiac. Tantôt petite comme un flambeau, tantôt grosse et étendue comme un vaste incendie, elle s’avance, elle recule, elle s’élève. Quand le voyageur croit être arrivé au lieu où il la voyait, elle disparaît tout à coup, puis elle se montre lorsqu’il s’est éloigné. Les pêcheurs affirment que ces feux marquent l’endroit où périt, dans un gros temps, une barge conduite par quelques hardis marins, du nom de Roussi ; cette lumière, selon l’interprétation populaire, avertirait les passants de prier pour les pauvres noyés. »
Version de Faucher de Saint-Maurice (1874)
Portrait de Faucher de Saint-Maurice. Source : Fonds Livernois, BAnQ.
Version inconnue (1899)

Cette version a été rapportée par Josée Kaltenbach dans Les plages et les grèves de la Gaspésie. Elle va comme suit :

« En ce 10 juin 1899, la baie des Chaleurs est emplie d’un angoissant silence. Un navire remonte doucement la baie. À la hauteur de Port-Daniel, deux dénommés Roussi se dirigent vers le navire afin de vendre une carcasse de bœuf à l’équipage. Lorsqu’ils abordent, le capitaine les tue, coule leur barque et s’empare du bœuf. Le capitaine s’en prend alors au missionnaire désireux de leur donner l’absolution et le fait attacher au mât du navire. L’équipage réussit, à force de plaintes, à le faire libérer. Depuis ce jour, avant les grosses tempêtes, on peut voir un feu mystérieux sur la baie, au large, qu’il semble impossible d’approcher. Au centre du feu, on distingue un navire; un prêtre est attaché au mât. On entend les cris et les supplications de l’équipage, et, surtout, la terrible voix du capitaine. »
Version acadienne (1899)
Version d’Antoine Bernard (1925)
Un extrait de La Gaspésie au soleil, 1925.
Version de Jean-Claude Dupont (1995)
Image tirée de son livre Légendes de la Gaspésie.

Le bateau fantôme

« Small pity for him ! – he sailed away

From a leaking ship in Chaleur Bay, –

Sailed away from a sinking wreck,

With his own townspeople on her deck!

‘Lay by ! Lay by ! they called to him ;

Back he answered, ‘Sink or swim !

Brag of your catch of fish again !

And off he saild through the fog and rain.

Old Floyd Ireson, fo his hard heart,

Tarred and feathered and carried in a cart

By the women of Marblehead.

 

Fathoms deep in dark Chaleur

That wreck shall lie forevermore.

Mother and sister, wife and maid,

Looked from the rocks of Marblehead

Over the moaning and rainy sea, –

Looked for the coming that might not be!

What did the winds and the sea-birds say

Of the cruel captain that sailed away?-

Old Floyd Ireson, for his hard heart,

Tarred and feathered and carried in a cart

By the women of Marblehead. »

Version de Joseph-Charles Taché (1863)
Une mention dans The Earth and its inhabitants, vol. 15 (1876)

Dans cet ouvrage de plusieurs volumes d’Élisée Reclus, l’auteur parle d’un phénomène de « lumière fantôme », que certains citoyens qualifient de boule de feu ou de bateau qui brûle au loin. Puis, l’auteur cite un certain Stuart Chamberland :

« Parfois, cela se présente comme une météorite, et à d’autres moments, la lumière glisse plutôt lentement. Parfois, cela reste immergé dans l’eau; d’autres fois, cela monte et descend dans les airs. [...] La lumière est généralement suivie d’un orage. [...] » (traduction libre).

Chamberland mentionnera aussi une légende selon laquelle l’équipage d’un vaisseau dans la baie a volontairement mis le feu au bateau, mais les marins se sont plutôt noyés dans le naufrage du bateau brûlé, ayant été « menés à la destruction par une lumière mystique qui est apparue pour la première fois à ce moment » (traduction libre).

Une mention dans The Newfoundland Evening Telegram (1886)

Dans cet extrait d’un ouvrage de 2003 intitulé True Canadian ghost stories, on voit une reproduction d’une dépêche datée du 18 janvier 1886 dans le Newfoundland Evening Telegram. On y trouve plusieurs informations pertinentes sur la légende, dont les choses suivantes :

  • Un dénommé Harper de Shippagan aurait informé notre voyageur (anonyme) que le bateau apparaîtrait entre le 22 et le 23 novembre, et qu’il l’aurait vu à plusieurs reprises.
  • La légende telle que contée par ce citoyen de Shippagan veut qu’un bateau de la compagnie Robin ait été perdu en mer. Un après-midi, alors qu’on n’attendait plus de nouvelles de ce bateau, celui-ci apparaît et est remarqué par des pêcheurs de Miscou.
  • Excités, les pêcheurs dirigent leur barque vers le bateau que l’on croyait perdu à jamais, mais il y a trop de brouillard. Quand celui-ci se dissipe, plus aucune trace du bateau des Robin ne subsiste : il a disparu.
  • Une autre version de la légende est toutefois relevée par l’auteur, une version française. Selon un pêcheur français de Port-Daniel, un bateau « du diable » serait aperçu, et chaque apparition annoncerait un été suivant peu fructueux en ce qui a trait à la pêche.
  • Enfin, une troisième variante venant d’un magistrat nommé Campbell, originaire de Shippagan, veut que le vaisseau en soit un de pirates, à la recherche de marins. 
  • On dit enfin que presque « tous les habitants » de la baie auraient vu le bateau fantôme…
Dans La Gaspésie : histoire, légendes, ressources, beautés (1930)

Dans cet extrait tiré de l’ouvrage La Gaspésie : histoire, légendes, ressources, beautés, la légende se déroule plutôt du côté de Cap-d’Espoir et porte sur le spectre d’un naufrage qui pourrait être aperçu une fois par année.

 
Un témoignage entendu à Paspébiac (1938)

Dans un ouvrage de Jean-Cléo Godin, on indique cette mention d’une note de bas de page d’un conte d’Yves Thériault. Un récit aurait été entendu, vers 1938, de deux pêcheurs assis sur le quai. « Chaque fois qu’il vient une grand’barque noire, câlisse, y en a qui périssent. » Ce témoignage réfère à la légende du bateau fantôme de la baie des Chaleurs, parfois mêlée à une autre légende similaire, le feu des Roussy.   

Le Bulletin des recherches historiques (1936)

Voici un passage d’un article relayé par Jean Provencher dans son blogue Les Quatre saisonsIl s’agit de l’article dA. A. Bertrand, « Le bateau fantôme de la Baie-des-Chaleurs », Revue d’histoire de la Gaspésie (vol. II, no 4, octobre et décembre 1964, p. 194-196). La publication reprend ici un texte déjà paru dans le Bulletin des recherches historiques d’avril 1936.

La tradition rapporte que dans les premiers temps de la colonie, un bateau-pirate fut poursuivi par un bâtiment de guerre, et incendié jusqu’à la ligne de flottaison. L’équipage périt jusqu’au dernier homme. Depuis lors, assez fréquemment, et tout particulièrement à l’approche d’une tempête, le fameux bateau est vu, voguant à pleines voiles avec tout son équipage en alerte, et entièrement enveloppé de flammes. Bien des fois, ce fantôme a été vu parfaitement par de nombreux témoins, lesquels n’oublient jamais cette lugubre vision d’un solide bateau tout en feu. […]

Il y a quelques années, un certain nombre de marins aperçurent le bateau toujours en feu, à environ trois-quarts du chemin entre Caraquet et New-Richmond, lequel remontait la Baie. […] Le spectacle était, paraît-il, épouvantable. Le bateau [était] complètement la proie d’un terrible incendie qui s’élevait dans les mâts et la voilure. Un homme se tenait au gouvernail, tandis que les matelots, répondant à ses ordres, couraient sur le pont en feu et même dans les cordages et les voiles. À la lueur de l’incendie, on distinguait parfaitement une femme sur le pont de la dunette, les bras tendus, comme au désespoir. […]

Il y a seulement quelques années, en revenant de la messe de minuit, de nombreux paroissiens de Grande Anse eurent tout le loisir de contempler encore le Bateau-Fantôme naviguant cette fois sur la glace de la Baie. La même nuit, le même spectacle fut constaté également par les paroissiens de Petite Roche, à leur retour de la messe de minuit.

En une autre occasion, des pêcheurs de Ellis Cove, comté de Gloucester, tentèrent de porter secours à ce bateau qui semblait en détresse à environ un mille du village. On put distinguer les membres de l’équipage, excités et engagés aux différentes manœuvres usitées pendant une tempête. Au milieu de l’incendie, on vit même une chaloupe descendre à la mer, se diriger vers la côte ; puis… tout disparut mystérieusement. […]

À Janeville, une respectable vieille dame déclare avoir vu également le fantôme en feu, naviguant vers la Baie. Cette fois, il paraît qu’il y avait sur le pont une assez nombreuse société de Grandes Dames et de Messieurs, tous galonnés d’or et dansant joyeusement une danse à huit, de l’ancien temps…
L’image du vaisseau fantôme est extraite de l’ouvrage La Gaspésie : histoire, légendes, ressources, beautés, Québec, ministère de la Voirie, 1930, p. 29.
Un article de Georges Guy (1982)

Dans cet article, Georges Guy souligne que le bateau fantôme peut être vu dans la baie des Chaleurs depuis plus de deux siècles. Certaines légendes courent justement au sujet de citoyens qui auraient vu ce bateau, dont un cordonnier de Paspébiac ou de New Carlisle, qui l’aurait aperçu vers 1938.

  • Certains disent qu’il pourrait s’agir du Marquis de Malauze, un navire français ayant pris feu lors de la Conquête anglaise. La légende veut qu’un marin ait refusé de quitter son navire, même s’il brûlait. Il poursuivrait les Anglais jusqu’au bout du monde, « et jusque su l’diable, s’il le faut ». Cette apparition symboliserait la persistance du bateau dans la baie, poursuivant « l’ennemi ».
  • Une autre version veut qu’un bateau pirate, voguant dans les eaux de la baie, ait accosté à Port-Daniel. Les pirates ivres auraient abattu une vieille dame, qui leur aurait jeté un sort : « vous allez brûler sur la mer jusqu’au bout du monde ». C’est donc ce bateau que l’on verrait.

Le saviez-vous?

Selon l’ouvrage The air and its mysteries, paru en 1938, le fameux bateau fantôme pourrait provenir d’un phénomène lumineux qui s’appelle « les lumières des Andes », fréquent sur la mer lors des journées chaudes. Il est alors commun de voir des décharges électriques assez phénoménales qui ne sont pas uniquement visibles sur la côte, mais aussi sur l’eau.

Le champ du mauvais temps

Cette légende provient de la Monographie de Paspébiac.

« Du temps où Charles Robin était à Paspébiac, il y avait un fermier qui avait contracté une dette envers la compagnie. Il devait la somme équivalente à un baril de farine.

Pour que celle-ci puisse avoir son dû, elle offrit à ce fermier un compromis. Afin d’acquitter sa dette, il doit lui donner une de ses terres pour la somme de 4 $.

La cie [compagnie] sème des pommes de terre. Quand le moment de la récolte arrive, le mauvais temps se met de la partie, et les travailleurs doivent se hâter. Chaque année, la même chose se répète.

C’est pourquoi les gens de la place le surnommèrent “le champ du mauvais temps” et prirent l’habitude de faire leurs propres récoltes avant ou après que la cie [compagnie] eut fait la sienne. »

 

Légende de la pointe à Jacques

La pointe à Jacques, photographiée par Jacques Lesseps en 1927. Source : BAnQ.

Cette légende, narrée dans un texte du conteur Fernand Alain, présente une histoire se déroulant dans le « coin des Joseph ». Un dénommé Jack, faisant six pieds, cheveux blonds et yeux bleus, et le meilleur pêcheur de la côte, aimait beaucoup les femmes. Un jour, Jack rêve d’être capitaine de son propre bateau. En se réveillant le lendemain, il annonce à sa femme, ‘Phrosine, qu’il allait construire son propre bateau, qu’il appellerait La ‘Phrosine à Jack. Quand la pêche est terminée, lui et ses voisins ont entrepris de construire le bateau. Ils ont bâti le bateau et ont commencé à pêcher « pour eux autres », mais malheur, la baie est parsemée de pirates, et une bonne nuit, ils ont brûlé le bateau de Jack. Abattu, il se tourne vers la boisson. On dit que quand il avait de la peine, il s’en allait derrière chez lui; il possédait un terrain avec une pointe qui s’avance vers la mer. Un bon jour, la marée a monté, et on n’a plus jamais revu Jack. On dit même que sur la pointe, par vent d’est, on entend siler. C’est comme si on entendait des hommes qui veulent dire quelque chose; comme si Jack était condamné à siler « de même » pour l’éternité. 

Un conteur unique : Fernand Alain

Véritable monument de la vie artistique et culturelle de Paspébiac, le personnage d’Abel Maldemay, incarné par Fernand Alain, est incontournable dans l’expression des légendes et des contes d’ici. Les monologues de Fernand Alain, complètement narrés en paspéya, mettent en valeur l’accent, les expressions et la vie quotidienne d’autrefois à Paspébiac.

Le conteur fête par ailleurs ses 50 ans de métier en 2023. Avec plus d’une cinquantaine de spectacles à son actif, Fernand Alain contribue sans aucun doute à la vitalité de la langue paspéya et à une transmission des us et coutumes d’antan.

Si vous demandez à Fernand Alain qui il est, il vous répondra sûrement : « Je suis Fernand à Patrice, à Joséphine à Abel à Urbain à Jos pis à d’Jos, je suis Paspéya. J’aime les mots, les “parlures” et j’aime faire parler les gens du trécarré parce qu’ils nous racontent la vie en toute simplicité. » Les personnages qui gravitent autour d’Abel, avec leurs mots, évoquent les plus beaux tableaux parce qu’ils sont uniques.

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