Plages et barachois

Un milieu fragile à protéger

Saviez-vous que le barachois de Paspébiac était entre autres constitué de plages, de marais salés et d’une importante faune et flore? Doté d’une topographie unique, il vous impressionnera par la diversité de points de vue qu’il offre.

Le barachois en 1927, selon Lesseps. Source : BAnQ.

Qu’est-ce qu’un barachois?

Le terme « barachois » est utilisé pour décrire une étendue d’eau partiellement salée (comme une lagune) et séparée de la mer par un banc de sable ou de gravier. Il existe le plus souvent un goulet par lequel l’eau de la mer entre à marée haute. Le barachois représente l’estuaire d’une petite rivière progressivement barré par un cordon littoral édifié par la dérive littorale.

Ces bancs de sable sont généralement formés d’alluvions déposées dans l’estuaire d’une rivière ou d’un ruisseau.

Comme le souligne le chercheur Luc Renaud :

« Du point de vue géologique, la région de Paspébiac correspond à la formation de Bonaventure, datant du carbonifère (350 millions d’années) et s’étendant dans la région immédiate de New Richmond à Port-Daniel. Cette formation, qui se retrouve également dans la région de Percé, est caractérisée par des dépôts dus à des écoulements fluviaux en milieu semi-aride (Bail, 1983). La nature friable de cette formation gréseuse favorise la production de sables tels que ceux qui forment les plages, cordons littoraux et flèches sableuses qui se retrouvent en abondance sur l’ensemble de la rive de la baie des Chaleurs (Logimer, 1984). »
Source : Vision Lithium.
En euskara, barratxoa

 Barachois est un mot français venant vraisemblablement du basque barratxoa (« petite barre »). D’autres hypothèses attachent le mot au portugais et au français, entre autres, mais l’étymologie « barre à choir » est sans fondement (Wikipédia). En outre, on voit le nom barratxoa écrit aussi tôt qu’en 1685 sur une carte du voyageur Piarres Detcheverry.

Sur une carte, le barachois de Paspébiac est présent – pas juste Paspébiac, mais bien la pointe – dès 1685, chez Emmanuel Jumeau. On voit très bien les mots Pte Pepchidiak pour désigner le barachois de Paspébiac, et Pte Pepchidiachiche, qui correspond à New Carlisle. À l’écrit, c’est Jacques Cartier qui est le premier à parler d’une pointe alors qu’il arrive à Paspébiac en 1534.

Un barachois lagunaire

Selon Les plages et les grèves de la Gaspésie de Josée Kaltenback, notre barachois est un barachois lagunaire sans rivière, qui a la forme d’un triangle. La côte en constitue la base et les cordons littoraux, les côtés.

Selon la chercheuse Geneviève Joncas, les spécialistes distinguent deux types de barachois : le barachois estuarien (de loin le type le plus fréquent), qui est situé à l’embouchure d’une rivière, et le barachois lagunaire, qui n’est alimenté que par les eaux de la mer. Ils résultent principalement de l’action de la marée et abondent en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine ainsi que dans les provinces maritimes (le mot « barachois » est d’ailleurs bien attesté dans la toponymie de ces régions de marées).

Quant à la première vraie esquisse du barachois, elle remonte à 1765, selon des plans de John Collins. On peut y voir, entre autres, un goulet entre le cordon littoral de gauche et la côte.

La première esquisse du barachois sur cette carte de John Collins.
De quoi est-il formé?

Comme le relève l’Étude biophysique de l’habitat du poisson de quatre barachois de la baie des Chaleurs réalisée par le ministère des Pêches et des Océans, plusieurs unités géomorphologiques composent notre barachois.

Figure provenant de Luc Renaud (op. cit.).

Comme le montre l’illustration ci-contre de James Mason Clarke dans son ouvrage L’Île Percée de 1923, les barachois de Carleton et de Paspébiac ne se sont pas constitués de la même manière. En ce qui concerne le cordon littoral ouest de notre banc, il s’agit du plus ancien, couvert de végétation jusqu’au phare. Le cordon littoral est est plutôt nu et venteux; il agit comme protecteur de l’ancien cordon.

L’illustration ci-joint présente le barachois tel qu’il était au début du 20e siècle, mais cette situation a beaucoup changé, le rendant plus semblable au banc de Carleton. Le goulet situé à l’ouest a été ensablé, et un goulet (qu’on appelle aussi un grau) s’est plutôt formé à l’est, pas trop loin de la pointe. Par moment, lors de tempêtes ou durant l’hiver, ce grau se referme. Durant l’été, ce goulet est vaste et sépare le barachois en deux. Il est impossible de le traverser, sinon les deux pieds dans l’eau.

Des marais salés

Des marais salés recouvrent une partie de l’intérieur du barachois. Ces milieux contiennent une multitude d’écosystèmes et une biodiversité impressionnante, dont la spartine alterniflore, le cuivré des marais salés et le troscart maritime. Plusieurs espèces d’oiseaux nicheurs, dont le pluvier, se nourrissent de la flore qui s’y développe. En ce sens, le barachois de Paspébiac, selon le Comité ZIP Gaspésie, représente un lieu de choix pour l’observation d’oiseaux.

L’érosion, un enjeu important

Bien que l’érosion soit un facteur important lié aux activités humaines, le barachois de Paspébiac voit un double-phénomène se produire : à la fois, une érosion de l’un de ses cordons littéraux, qui accentuent l’amoncellement de  sable sur la flèche, ou la pointe.

Comme on le voit sur cette image, une partie du cordon littoral est s’érode au profit de la pointe, qui prend de l’expansion (2003-2004).
Autre image réprésentant ce phénomène.

Toutefois, un recul important de la barrière de sable peut être noté au fil des années. Voici un graphique de Renaud datant de 2001 :

Il y a ainsi bel et bien une forme d’érosion affectant le barachois de Paspébiac, à l’instar des différents milieux naturels côtiers en Gaspésie. Voici l’évolution temporelle du barachois de Paspébiac, du cadastre de 1870 (la ligne 1) à 1986 (ligne 7). On voit particulièrement que c’est le cordon est qui est concerné par l’érosion.

Source : Luc Renaud, 2001.
Depuis quand occupe-t-on le barachois ?

Comme nous le soulignons dans la page Démographie et population, l’occupation du barachois remonte aussi loin qu’au Régime français – du moins c’est ce que les traces écrites permettent d’inférer. Toutefois, il est fort probable que les Mi’gmaq aient occupé de manière passagère le territoire, possiblement pour des voyages entre Gaspé et Restigouche.

Puis, au tournant de la Conquête, les Jersiais courtisent l’endroit et en font leur lieu de rassemblement. Plus précisément, le barachois de Paspébiac deviendra le siège social de deux compagnies de pêche : la compagnie Robin et la compagnie Le Boutillier Brothers. Au sommet de leur gloire, plus de 70 bâtiments se dresseront sur notre finistère.

En 1765, sur cette carte de John Collins, on ne voit pas de bâtiments, mais on voit des lots subdivisés. Source : BAnQ.
En 1785, le barachois compte plusieurs bâtiments, en plus de deux quais! Source : BAC.
En 1819, les possessions de Charles Robin sur le banc comptent plusieurs dizaines de bâtiments! Source : Société historique de Jersey.
Puis, en 1845, surprise! Beaucoup de bâtiments! Source : BAC.
Des pêcheurs et leurs bâtiments

Dans ce détail d’une carte de 1845 du cartographe McDonald, on voit une chose bien particulière : les « fisherman’s h [pour huts] and stages »! En effet, il était courant de voir sur le banc de Paspébiac une foule de petites cabanes de pêcheurs, qui y habitaient durant la saison de la pêche, avant de remonter « en haut » la saison finie.

Ce n’est pas tout! Cette carte précise aussi les lots des pêcheurs indépendants sur le banc. Il est même probable que des pêcheurs indépendants aient eu des lots sur le barachois dès 1765 (voir la carte ci-dessus), ce qui participe à déconstruire le mythe du monopole des compagnies de pêche Robin et Le Boutillier.

Si nous récapitulons, il y aurait eu des pêcheurs indépendants sur le banc depuis au moins 1845, et possiblement dès 1765, puisque les deux compagnies côtoyaient des pêcheurs qui œuvraient à leurs affaires sur leur lot.

Concernant les maisons de pêcheurs, elles sont présentes sur une carte dès 1845.

En 1870, un hôpital, une brasserie et un restaurant!

Il n’y a pas que les bâtiments de pêche sur notre barachois! En 1870, selon ce plan de Murrison, on peut voir qu’il y avait un hôpital sur la pointe. Dans The cruise of the Alice May de 1884, on trouve la mention d’un restaurant, le Lion Inn, au bout de la pointe. Celui-ci aurait même une petite figure de proue en saillie.

Détail du plan de Murrison de 1870. Entouré en jaune, l’hôpital!
Sur un plan de 1819, une brasserie appartenant aux Robin!
La plage à Norbert

Parlant de maisons de pêcheurs, sur cette carte aérienne de Lesseps, on voit très bien que la plage à Norbert était jadis jonchée de petites cabanes de pêcheurs.

Aujourd’hui, un brise-lame remplace le quai présent sur la photo. On doit le nom de cette plage au restaurateur Norbert Delarosbil, qui avait jadis le restaurant et la salle de danse Chez Norbert, en haut de la route Chapados. Cet endroit n’est plus, mais la plage le garde en mémoire!

Il s’agit même d’un toponyme officiel, enregistré à la Commission de toponymie du Québec, depuis 2006. 

Le restaurant et la salle de danse Chez Norbert. Source : Lucie Delarosbil.

Selon l’abbé Ferland, 1863 :

« Le banc ou, comme on le nomme ici, le bagne est un triangle équilatéral dont la base est formée par la terre ferme, des deux extrémités de cette base, qui a une mille de longueur, partent deux banques sablonneuses, larges d’environ un arpent, et se joignant à un mille en mer. L’intérieur est un beau bassin qui communique avec les eaux de la mer par un étroit canal. »

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