Les chantiers maritimes

Trois chantiers plutôt qu’un!

À Paspébiac, pas moins de trois chantiers maritimes se développeront de 1791 à 2014. Malheureusement, cette tradition est éteinte. Nous lui rendons hommage par l’article suivant.

Premier chantier maritime (1791-c. 1920?)

Le chantier Robin

1767

Charles Robin s’installe

En 1767, Charles Robin s’établit de manière officielle à Paspébiac. La construction navale sera pour la compagnie une activité complémentaire, palliant les besoins de transport de la morue salée et séchée partout dans le monde. Comme le souligne Mario Mimeault dans son article La construction navale :

« Les chantiers les plus importants appartiennent aux grandes firmes jersiaises, mais plusieurs familles de la baie des Chaleurs et de Gaspé possèdent aussi leurs installations. Les plus grands chantiers navals se trouvent à Sainte-Anne-des-Monts, dans la baie de Gaspé et à Paspébiac. Les bateaux qui en sortent servent au transport de la morue, au grand commerce, au cabotage et à la chasse de la baleine. La Charles Robin and Company possède les plus importants chantiers navals de la péninsule. Elle se tourne vers cette activité complémentaire à ses opérations en raison de ses besoins en transport. Au cours des années 1765 à 1800, elle achetait ses bateaux à Jersey, mais les guerres européennes de la fin du siècle lui créent des problèmes. »

1791

Les débuts de la construction navale

En 1791, la compagnie Robin se met à construire ses propres bateaux alors qu’elle les avait plutôt fait construire directement à Jersey jusque-là.

Selon Mario Mimeault :

« C’est en 1791 que la compagnie s’émancipe de cette dépendance en engageant un maître de chantier naval reconnu, le capitaine James Day. Sa cale sèche se dresse en plein cœur du banc de Paspébiac et s’accompagne, au fil des ans, de plusieurs petits ateliers liés à la construction navale. Le premier bateau de la Robin à Paspébiac, le Fiott, est lancé en 1792. Par la suite, des navires de tous gabarits sortent des planches à dessin de Day, des goélettes, des barques, des bricks, des brigantins. En moyenne, un nouveau navire prend la mer tous les deux ans entre 1791 et 1830. Au total, entre 1791 et 1873, ses charpentiers navals construisent trente-deux vaisseaux de 111 tonneaux pour le plus petit (le C.R.C., construit en 1828) à 283 tonneaux pour le plus gros (le Markwell, construit en 1853). »

1830

Trente ans plus tard, en 1828, la compagnie Robin possède, à des fins de construction navale, « 8 maisons, 10 bâtiments avec un salt loft, un rigging loft et un mould loft pour la construction navale ». D’ailleurs, selon certaines sources, en 1830, 21 % des bateaux sont construits à Paspébiac.

1860

En 1860, on indique que la compagnie Robin emploie en permanence plus de 30 charpentiers, dont plusieurs sont des charpentiers de navire.

1866

Le centenaire des opérations

Selon Mario Mimeault :

« En 1866, année centenaire des opérations de la compagnie en Gaspésie, le chantier de Paspébiac lance le Century, un modeste brigantin de 150 tonneaux. Ces navires sont utilisés pour le transport de la morue, les voyages à destination de l’Amérique du Sud et les traversées transatlantiques. »

La même année, Thomas Pye fait un tour dans la région et illustre le chantier naval des Robin.

Le chantier naval en 1866. Source : Mario Mimeault, La construction navale en Gaspésie au XIXe siècle.

1873

Le début de la fin

Selon Mario Mimeault :

« Les meilleures années de la construction navale en Gaspésie correspondent aux décennies 1830 et 1840 et son déclin s’amorce à partir des années 1870. La crise économique de 1873 ébranle alors grandement les commerces locaux. »

Le rythme de construction a été soutenu jusqu’en 1873.

Cette date correspondrait à la construction du Seaflower, une barque de 352 tonneaux, qui serait le dernier transatlantique construit par la compagnie Robin. Seules deux petites goélettes auraient été construites par la suite (Mimeault, Thibeault et Longpré).

Puisque le chantier fait partie de la compagnie Robin, il ne constitue pas une personne morale, et il est donc difficile d’avoir une date exacte de fermeture. 

Au 20e siècle, la Charpenterie a continué à être utilisée pour des réparations de toutes sortes. 

1886

La faillite des banques de Jersey de 1886 occasionne, sans surprise, une rupture dans les activités des compagnies jersiaises, ce qui ébranlera la construction navale. L’historien Mario Mimeault mentionne aussi qu’à la fin du siècle, l’arrivée de navires de ligne et l’apparition du chemin de fer sont deux facteurs contribuant au déclin de la construction navale pour les Robin.

1920

Bien que la construction navale ait décliné radicalement au cours des décennies précédentes, en 1920, Eugène A. Bouillon est le propriétaire d’un chantier de construction de navires en bois.

Le chantier naval, Paspébiac. Un dessin d’Arthur Lismer, 1927. Source : Musée des Beaux-Arts du Canada.

Deuxième chantier maritime

Les chantiers maritimes de Paspébiac de Marine Industries (1961-1969)

Montage photo de Sonia Berthelot. Plusieurs scènes du chantier maritime. En bas, à gauche : Aurélien Berthelot, Joseph Loisel et Léonard Loisel (avec le chapeau).

1961

En 1957, la compagnie Tracy Construction inc. obtient un contrat pour la construction du quai de Paspébiac, probablement en préparation pour la construction du chantier.

En 1961, on amorce la construction d’un nouveau chantier maritime à Paspébiac sous la direction de la compagnie Marine Industries de Sorel. Marius Fortin en sera le gérant. À partir de ce moment, des bateaux en acier seront construits à Paspébiac plutôt que des bateaux en bois. On mentionne aussi que cette initiative donnera aux pêcheurs gaspésiens les moyens de concurrencer les flottes de pêche européennes qui maintiennent de nombreux chalutiers dans le fleuve Saint-Laurent. Cette initiative permettra aussi aux pêcheurs de faire radouber leurs navires en acier à moindre prix.

Voici ce qu’en dira la Monographie de Paspébiac : 

« Son activité consiste en la construction de bateaux de pêche en acier. Paspébiac fut choisie pour plusieurs raisons : son havre naturel, main-d’œuvre peu coûteuse (!), diversité de métiers que les gens exerçaient. Les employés étaient au nombre de 125, dirigés au début par une équipe d’instructeurs de Sorel, dont M. Léo Cayer (contremaître général), Hector Simard (contremaître électricien), Bernard Péloquin (contremaître mécanicien), Arthur Dumont (contremaître plombier), Henry Épaule (spécialiste en diésel et qui fait les essais en mer), Mariette Roussy-Aspirot (secrétaire). La coupe des bateaux s’exécutait à Sorel pour ensuite être transportée à Paspébiac pour la fin des travaux. Le premier à y être lancé fut le Paspébiac. Plusieurs autres suivirent le même chemin, environ une vingtaine, ainsi que le bateau-école Le Québécois. M. Marius Fortin occupe le poste de gérant de 1962-1968. Son successeur, M. Raymond Lapierre, exerça sa fonction jusqu’à la fermeture en 1969. »

Également en 1961, un parc d’hivernage pour bateaux en bois est construit, ainsi qu’un parc d’hivernage et une rampe de lancement pour les bateaux en acier. 

Le chantier maritime est inauguré le 15 juillet 1962 en présence de Gérard D. Levesque et de Jean Lesage. Cette année-là, le premier chalutier d’acier construit au Québec sort des murs de Paspébiac (« par les Gaspésiens et pour les Gaspésiens »), destiné à moderniser les pêches québécoises. On mentionne que les bâtiments ont été construits par le gouvernement, mais avec l’aide technique de Marine Industries, qui participera à la construction d’une première série de 12 navires.

D’ailleurs, la compagnie Robin, Jones & Whitman se mettra à commander des bateaux.

En 1963, un deuxième navire sort des murs du chantier maritime. Il porte le nom de M. V. Reine de la Mer. On mentionne que les experts de Sorel sont sur le point de partir

Un peu plus tard au Québec, le Chantier maritime de Gaspé se mettra à la construction en fibre de verre, et l’industrie de construction navale en acier déclinera à Paspébiac.

 

 

Construction du quai de Paspébiac. Source : Réal Parisé.
Le chantier maritime dans les années 1960. Source : Site historique national de Paspébiac.
La construction du quai. Source : René Cournoyer.
« Ti-Blanc » Cournoyer sur le chantier, à Paspébiac, 1959. Source : René Cournoyer.

1964

 

Une cinquantaine de bâtiments sur le banc de Paspébiac sont la proie des flammes. Le chantier maritime est menacé, selon un article paru dans Le Soleil du 22 juin 1964.

Tout de suite après cet incendie, un projet de reconstruction de l’usine de poisson est proposé par la Fishery Products pour remplacer l’usine de la Robin, Jones & Whitman. Les dirigeants de cette entreprise désirent procéder à la restauration du chantier maritime et de la rampe de lancement.

1965

Coupure de presse. Source inconnue.

En 1965, des travaux sont effectués pour améliorer les installations portuaires. 

De 1964 à 1969, J. H. Lebreton sera le président des Chantiers maritimes de Paspébiac tout en étant le président de la Robin, Jones & Whitman.

1966

En 1966, c’est le baptême d’un nouveau chalutier, fabriqué pour la compagnie Gorton Canada. On l’appelle G.-C. Jewel. Ce navire peut faire la pêche au chalut pour capturer le poisson de fond ou la pêche à la seine.

Un deuxième chalutier est inauguré cette même année, en août 1966, et porte le nom de Zurlu.

 

Baptême d’un autre chalutier pour les Îles-de-la-Madeleine. Source : L’Action : quotidien catholique, 1966-11-14, Collections de BAnQ.

1968

Des conflits de travail émergent aux Chantiers maritimes de Paspébiac, et les ouvriers des Chantiers maritimes de Gaspé sont en grève. À Paspébiac, des négociations sont en cours entre les Chantiers et le syndicat CSN, comme en témoigne un article paru dans Le Soleil du 2 mai 1968.

De plus, le gouvernement libéral de P.-E. Trudeau mettra en œuvre une série de politiques qui priveront de contrats les chantiers maritimes au Québec. En effet, en 1968, les travailleurs des chantiers maritimes de la Davie se retrouvent sans emploi, et la fermeture menacera aussi le chantier de Paspébiac. En un an, 1 000 travailleurs œuvrant pour Marine Industries se retrouvent sans emploi.

Enfin, malgré ce climat incertain, 1968 est aussi le moment où sera lancé l’important E. P. Le Québécois, un chalutier-école qui fera office d’école de haute mer pour le ministère de l’Éducation. Il s’agit d’un important navire en acier, long de 93 pieds. Il est le premier chalutier-école construit en Amérique du Nord conçu pour « compléter l’enseignement théorique que reçoivent les étudiants de l’École des pêcheries de Grande-Rivière. Il contribuera à parfaire la formation de pêcheurs, de mécaniciens, d’administrateurs, de navigateurs et de cuisiniers » (Le Soleil, 27 mai 1968).

Le Cégep de la Gaspésie vend le bateau en 1984 à une entreprise de Rimouski qui le cède en 1986 à Pêches et Océans Canada. Par la suite, le bateau sera transformé en patrouilleur pour la surveillance de la réglementation sur les pêches. Sa carrière de patrouilleur se termine en 2014 après 36 ans de navigation.

Le chalutier-école E. P. Le Québécois. Source : BAnQ.

1969

Source : Le Soleil, 13 août 1969.

Le chantier dirigé par Marine Industries annonce qu’il ferme ses portes en 1969. Après avoir livré deux derniers bateaux, il cesse complètement ses activités en 1970. La Monographie de Paspébiac relate cet événement ainsi :

« Pourquoi la fermeture? La main-d’œuvre devenait plus coûteuse, le prix du transport de Sorel a augmenté, et les assurances pour le chantier construit en bois subissent le même cours. Il est à noter qu’après trois ans d’existence [du chantier], les inspecteurs du gouvernement déclarèrent que la qualité du travail accompli à Paspébiac était supérieure à celle de Sorel. »

Selon un article paru dans Le Soleil du 13 août 1969, c’est un manque de contrats qui justifie cette situation. M. Raymond Lapointe, gérant du chantier, affirmera que son entreprise allait bien jusqu’en 1968. En 1967, il y avait 95 employés, alors qu’il n’en a plus qu’une vingtaine deux ans plus tard. Le gérant affirme que 25 navires ont été montés aux chantiers maritimes de Paspébiac. Qu’adviendra-t-il du chantier? Il servira essentiellement à entretenir les bateaux de pêche dans la région.

1969

Le chantier maritime en 1970. Source : Site historique national de Paspébiac.
Le chantier maritime en 1980. Source inconnue.

1975

Vers 1975, le gouvernement provincial projette de rouvrir le chantier maritime de Paspébiac en partenariat avec M. Borromée Verreault, propriétaire du chantier naval des Méchins. Puis, il y a volte-face du gouvernement alors que M. Verreault s’était rendu en Norvège pour rencontrer un constructeur de bateaux avec lequel il projetait de fonder une compagnie et de racheter le chantier maritime de Paspébiac. Il faudra attendre 1985 pour voir le chantier maritime rouvrir.

Chantiers maritimes de Paspébiac Ltée (1985) : 1985-1997

Le chantier maritime, date inconnue. Source : Dany Appleby.
Le chantier maritime en 1980. Source : Ghislain Maldemay.

1985-1988 : Rivtow Straights

Le chantier maritime se réincorpore en 1985 et change de raison sociale. Il s’appellera désormais Chantiers maritimes de Paspébiac (1985) Ltée. Un article paru dans Le Soleil du 15 juin 1985 indique qu’on doit cette réouverture à une firme de la Colombie-Britannique qui l’exploitera de 1986 à 1988. Le chantier appartient alors au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation et est loué à une filière de la compagnie Rivtow Straits.

La filière prévoit en faire d’abord un lieu d’assemblage de pièces préparées aux chantiers de Vancouver. Avant cela, le lieu servait de parc d’hivernage de bateaux.

D’ailleurs, en 1986 – après 20 ans d’inactivité – les chantiers de Paspébiac baptisent leur premier chalutier le Maxime C1, appartenant au propriétaire de Pêcheries Chapados inc. Ce chalutier devait représenter un prototype d’une nouvelle génération de bateaux faits entièrement d’acier et avec la technologie la plus fine. Le chantier emploie alors plus d’une soixantaine de personnes. Trois autres crabiers sont en construction, et le directeur du chantier est René Renaud. 

C’est d’ailleurs en partie à René Renaud que l’on doit la conception d’un projet de traversier entre Paspébiac et Grande-Anse, au Nouveau-Brunswick, au même moment. Par le biais de son groupe Navigation Baie-des-Chaleurs, René Renaud acquiert le traversier de Trois-Pistoles.

En 1987, 58 travailleurs œuvrent au chantier, et l’avenir de la construction navale en acier semble prometteur. En 1988, Paspébiac est l’un des seuls chantiers à produire des coques en acier, avec ceux de Gaspé, de Lévis, des Méchins et de L’Île-aux-Coudres.

1991-1992 : Kata Marine International

Chantier maritime de Paspébiac avant l'incendie de 1996. Source : Jules Whittom.

En 1991, le chantier maritime est rouvert sous la direction de Georges Mamelonet et de Gilles Jean, qui y font construire le navire d’excursions Capitaine Duval. Dans un article paru dans Le Soleil du 14 décembre 1991, on apprend que le chantier avait été abandonné depuis le départ du locataire précédent, la firme Rivtow Straits, puis acquis par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, qui signera un bail avec ces investisseurs québécois incorporés sous le nom de Kata Marine International (division Canada). Il est projeté de faire une série de catamarans destinés à des fins touristiques.

Le chantier avait fait l’objet de prospection de la part d’un autre groupe d’hommes d’affaires de la Baie-des-Chaleurs, Les Investissements Gesmer. Ceux-ci souhaitent prendre les locaux du chantier pour y faire un lieu d’entreposage et de séchage des algues destinées à la production de produits variés (peinture au latex, dentifrice,etc.) (Le Soleil, 27 février 1981). 

Puis, en 1992, on commence la construction d’un premier navire à Paspébiac pour la compagnie Kata Marine. Les représentants gaspésiens souhaitent développer la construction de catamarans pour le marché nord-américain. Dans tous les cas, le bateau pourrait servir de lien entre le parc Forillon et l’île Bonaventure (Le Soleil, 8 janvier 1992). Mais c’est le début de la fin. Le dernier bateau est construit à ce moment.

Le chantier maritime est ensuite acquis par la municipalité de Paspébiac, qui l’utilisait comme entrepôt pour les crabiers Desbois, McInnis et Marcoux, propriétaires de l’usine MDM.

1992-1997 : l’abandon

Malheureusement, ce chantier maritime – et plus particulièrement le bâtiment principal construit au début des années 1960 – prend feu en 1997. Les dommages sont estimés à 1,5 million de dollars. À ce propos, le conseiller municipal de l’époque, Jean-Guy Duguay, affirmera que le moment de l’incendie est symbolique :

« La municipalité de Paspébiac était sur le point de terminer, après trois ans de discussions et de paperasse, le transfert de propriété du chantier qui appartenait au MAPAQ (ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation). Là, nous n’avons plus de chantier maritime » (Le Soleil, 6 août 1997).

Il sera reconstruit la même année, même si les travaux prennent plus de temps que prévu.

Feu de 1997. Source : Steve Joseph.
Source : Site historique national de Paspébiac.

La reconstruction du chantier (1997-2014)

Troisième chantier maritime

Croyez-le ou non, le chantier maritime existera jusqu’en 2014! Toutefois, il servira plutôt à des fins d’entreposage et n’aura plus du tout de vocation de construction navale. Il sera incendié en 2014.

Feu de 2014. Source : CHNC.
Et encore. Source : Stéphane-Alexandre Blais.
Photo du feu de 2014. Source : Jules Whittom.
Une autre image du feu de 2014. Source : Stéphane-Alexandre Blais.

Quelques bateaux construits à Paspébiac

Chalutier Villemond no 2, 1965. Source : Marine Industries.
Chalutier Ponchon, produit pour les Pêcheurs Unis du Québec en 1964, à Paspébiac.
Le bateau-école E.P. Le Québécois, construit en 1968 à Paspébiac.
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