MON JERSEYMAN PRÉFÉRÉ, ARTHUR GORDON LE GROS
Par Enid Legros-Wise avec la collaboration de Peter Legros, novembre 2019
L’acte de décès de ma grand-mère, Ada (Hows) Le Gros, mentionne qu’elle est tombée d’une calèche et est morte en couches. L’entrée de mon père dans ce monde le 15 décembre 1904 a donc été précipitée. Les fantômes semblent être un élément accepté de la réalité à Jersey, mais lorsque j’ai demandé, avec espoir, à mes cousins de me conduire dans la maison de mon grand-père, dans la paroisse de Saint-Martin, afin de communier avec sa présence mystérieuse, j’ai été surprise et déçue qu’ils n’aient exprimé que de l’horreur ! Que ma grand-mère repose en paix !
Arthur Gordon Le Gros est le troisième enfant de Daniel Le Gros. Son frère et sa soeur, Cyril et May, restent à Jersey, mais le nouveau-né est envoyé à Portsmouth en Angleterre pour y être élevé par sa grand-mère veuve, Mary Ann (Falle) Hows, et sa tante Violet, enseignante. Arthur a neuf ans lorsque la Première Guerre mondiale éclate et il subit alors de nombreux traumatismes : la famille Hows a des membres importants au front et Violet elle-même devient veuve quelques jours seulement après son mariage.
Mon père a fréquenté le lycée de Portsmouth qui jouit encore aujourd’hui d’une excellente réputation. De nombreuses années plus tard, assis au conseil scolaire d’Eastern Shores, à New Carlisle ici en Gaspésie, je me souviens de lui qui exprimait sa déception quant à la qualité de l’instruction. J’étais aussi impressionné par le fait qu’il ait pu aider mon frère dans ses problèmes de physique à l’Université : mon père avait quinze ans lorsque, à la grande déception de sa tante et de sa grand-mère, et pour des raisons financières, il abandonne tous ses rêves de devenir physicien et quitte l’école pour se rendre lui-même à la compagnie Robin Jones and Whitman au Canada. Une copie de son document d’immigration, datée du 16 août 1920, indique qu’il est venu à bord du navire à vapeur S/S Corsican et que son poste au sein de la société était celui de commis.
Nous sommes chanceux qu’Arthur Le Gros ait eu l’intérêt et la clairvoyance de rassembler et de conserver bon nombre d’anciens documents des Robin et qu’il ait rédigé des articles basés sur ses recherches. Peter a en sa possession un exemplaire de la Liste des stations contenant les noms des employés des postes Robin situés autour de la péninsule gaspésienne et sur la Côte nord au cours des années 1912 à 1935. À son arrivée au pays, mon père est employé à Cape Cove à l’hiver 1920 où il reste jusqu’à son transfert à L’Anse-à-Beaufils à l’été 1923. Ceci nous intéresse, mon frère Peter et moi, parce que nous n’avions pas réalisé qu’il y avait un poste à Cape Cove avant celui de L’Anse-à-Beaufils, et aussi parce que notre père a dû rencontrer notre mère à ce moment-là, vu que sa famille aurait aussi fréquenté l’église anglicane St. James de cette paroisse. L’été 1923 est la première fois que les deux lieux sont mentionnés dans la Liste des stations et la dernière fois qu’il est fait mention de Cape Cove. Le magasin général de L’Anse-à-Beaufils qui a été construit en 1928, cinq ans plus tard, est maintenant un musée donnant un aperçu du mode de vie passé.
Par la suite, les lieux de travail pour Arthur ont été Ste-Adélaïde, été et hiver 1923-24, Anse-au-Griffon, été 1924 à hiver 1926 et Grande-Rivière, été 1926. Pour l’hiver du 1926-27, Arthur est répertorié avec d’autres travailleurs dans les notes du grand livre des Robin; Peter pense que, les employés ayant la possibilité de rentrer chez eux une fois aux frais de l’entreprise, Arthur a peut-être passé cet hiver-là à Portsmouth et à Jersey. Nous nous souvenons qu’il disait s’être assis sur un rocher avec son frère Cyril, à Jersey, et s’étonner que le gros rocher de sa mémoire d’enfant n’était pas si énorme après tout.
De l’été 1927 à l’été 1929, Arthur travaille à Grande-Rivière. À l’été 1929-30, il est à Newport Point et à l’Anse-au-Griffon (aucune mention de l’hiver), puis jusqu’à l’été 1935, il travaille à la plage de Paspébiac qui fait référence au bureau principal de la société plutôt qu’à la plage comme tel, car ce bureau avait été déplacé à l’abri des intempéries de l’hiver.
À Paspébiac, Arthur était employé comme réserviste, collecteur et à la réembauche. L’été 1935 marque la fin de cette liste de stations. Mais cela ne nous dit pas ce que notre père faisait à Rivière-au-Renard ni à quel moment cet événement a eu lieu, mais Peter se souvient d’un récit : notre père était avec d’autres personnes chargeant des marchandises sur un navire (le Miron L.), à Rivière-au-Renard, quand les conditions météorologiques sont devenues très mauvaises. Ils ont dû lever l’ancre si précipitamment qu’il est resté à bord pour le voyage à Gaspé. Cette histoire nous est resté dans la mémoire parce que le vieil employé avec lequel il partageait une cabine lui a dit que s’il voulait savoir s’ils allaient couler, il n’avait qu’à regarder la lanterne suspendue, tant qu’il la voyait revenir, tout allait bien ! Le voyage a pris trois jours !
La liste ne nous donne pas d’informations pour 1936, mais comme il s’est marié avec notre mère, Jessie Isabel Mahan, le 8 octobre 1936, nous supposons qu’il avait déjà été nommé directeur de l’établissement de la société à Newport Point. Mes frères Lawrence, Peter et moi sommes tous nés pendant notre séjour là-bas.
De Newport, Arthur Le Gros arrive à Paspébiac en 1946 en tant que directeur général adjoint d’Eugène A. A. Bouillon. En 1952, lorsque la société est en difficulté, il succède à M. Bouillon comme directeur général de Robin Jones and Whitman Ltd (le nom de la société de l’époque) et en est devenu l’un des principaux actionnaires. Il a ensuite occupé ce poste pendant plus de vingt ans.
L’année dernière, j’ai fait la connaissance d’un homme qui, après avoir appris que je m’appelais Le Gros, est devenu très enthousiaste. Il m’a dit qu’il y a de nombreuses années, alors qu’il était un nouvel immigrant au Canada, mon père lui avait demandé de lui donner des cours d’allemand. Il a vanté l’humilité de mon père. J’étais très touchée mais pas surprise. Arthur Le Gros était respectueux, prévenant, authentique, ouvert d’esprit, attentionné, et plutôt timide. Il aimait aussi s’amuser et je me rappelle avec tendresse les nombreuses heures qu’il a passé avec ma mère à faire de la musique. Je me souviens aussi de lui avoir dit que je ne devrais jamais penser que le fait d’être une fille entrave, de quelque manière que ce soit, mes choix dans la vie. Lui et ma mère étaient d’excellents partenaires et ensemble, ils nous ont donné un bel exemple sur la façon de se conduire dans la vie.
Arthur Gordon Le Gros est décédé le 22 avril 1978 à l’âge de 73 ans. Il était mon Jerseyman préféré.
NOTE : Il peut être intéressant pour les chercheurs en généalogie de voir à quel point l’orthographe des noms peut être modifiée facilement et rapidement. Le nom de mon père sur son journal d’immigration était orthographié à la manière de Jersey : Le Gros. Je me souviens qu’il l’épelait toujours sans espace : LeGros. Moi, je l’épelle généralement sans capitale : Legros et depuis mon mariage avec Roger Wise, Legros-Wise.
Enid Legros, native de Paspébiac