En 1534, Jacques Cartier effectue un premier voyage au nom du roi de France afin de « découvrir certaines isles et pays où l’on dit qu’il se doibt trouver grant quantité d’or et autres riches choses ».
Parti de Saint-Malo le 20 avril, il traverse l’Atlantique et longe les côtes du Labrador, de Terre-Neuve, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick. Dans la Baie-des-Chaleurs, il fait la rencontre des Mi’gmaq, avec lesquels il échange des produits européens contre des fourrures.
Au cours d’une tempête, il se réfugie dans la baie de Gaspé où il rencontre un second groupe autochtone, les Iroquoïens du Saint-Laurent. Le 24 juillet 1534, il érige une croix à Gaspé, prenant ainsi « officiellement possession » du territoire au nom du roi de France, et ce, en dépit des protestations du chef Donnacona. Le 25 juillet, il reprend la mer avec, à bord de son navire, deux des fils du chef.
Jacques Cartier dirigera ensuite deux autres voyages d’exploration dans la région du Saint-Laurent en 1535-1536 et 1541-1542.
(Source : Musée de la Gaspésie)
L’arrivée de Jacques Cartier dans la baie des Chaleurs est relatée par l’explorateur de la présente manière dans son Premier voyage, en 1534, de la manière suivante :
« Le cap de ladite terre du Su fut nommé cap d’Espérance[1], pour l’espoir que abuions de y trouues passaige; et le quart jour dudit moys, jour Sainct Martin, rangeames ladite terre du Nort pour trouues hable, et entraimes en une petite baye et couche de terre toute ouuerte deuers le Su, où il n’y a aulcun abry dudit vant, et la noumames la couche Sainct Martin; et fusmes dedans ladite couche dempuix le quart jour jusques au dozieme jour dudit Juillet. Et ce temps que nous fusmes en ladite couche, fusmes le lundi seixième, après auoir ouy la messe, avecquez vne de nos barcques pour descouuriz vng cap et pointe de terre[2] qui nous demouroict à sept ou ouict lieues à l’Ouaist de nous, pour voir comme ladite terre se rabatoict; Et nous estans a demye lieue de ladite pointe, apersumes deux bandes de barcques de sauuaiges, qui trauersoinct de leur terre à l’austre où estoint, plus de quarante ou cinquante barcques, et dont l’une desdites bandes de barcques ariuoict alla dite pointe, dont il sautèrent et dessandirent à terre vng grand nombre de gens, quelx fessoinct vng grant bruict et nous fessoinct plusieurs signes que nous allissions à terre, nous montrant des peaulx sur des bastons. Et pour ce que n’auions que vne seulle barcque, n’y voullimes allez et nageames vers l’autre bande qui estoict alla mer; Et eulx voyans que nous fuyons, esquippèrent deux de leurs plus grandez barcques pour venir après nous, auecques lesquelles se bandèrent cinq aultres de celles qui venoint de la mer, et vindrent jusques auprès de nostre dite barcque, dansant et faisant plusieurs signes de voulloir nostre amytié, nous disant en leur langaige: Napou tou daman asurtar, et aultres parolles que n’entendions. Pour ce que n’auyons, comme dit est, que l’une de de nos barcques, ne nous voullysme fiez en leurs signes, Et leurs fysmes signes que eulx se retirassent, ce que ne voullirent; mes nagèrent de si grande force, qu’ilz avironnèrent notre dite barcque auecques leurs sept barcques; Et pour ce que, pour signe que nous leurs fissions, ne se voullirent retirez, nous leurs tirames deux passeuollans par sur eulx, Et lors ce mydrent à retournez vers ladite pointe, Et fidrent vng bruict merueilleusement grant, après lequel commancèrent à retournez vers nous comme dauant; et eulx estans jouxte nostre dite barcque, leur lachames deux lanses à feu, que passèrent parmy eulx, qui les estonna fort, tellement qu’ilz se mydrent alla fuyte à moult grant haste et ne nous suyuirent plus.
Le landemain partie des dits sauuaiges vindrent auecques neuff barcques alla pointe et entree de la couche où estions possés o nos nauires; Et nous estans aduertiz de leur venue, allames o nos deux barcques alla dite pointe et entrée, où ils estoint; et incontinant qu’ilz nous aperczeurent, se mysdrent à fuyr, nous faisant signes qu’ilz estoint venuz pour trafiquer auecques nous, et nous montrèrent des peaulx de peu de valleur, de quoy ils s’acoulstrent. Nous leur fysmes paroillement signe que nous ne leur voullyons nul mal, Et dessandismes deux hommes à terre pour allez à eulx leurs portez des coulteaux et aulstres ferremens et vng chappeau rouge pour donnez alleur cappitaine. Et eulx, voyant ce, dessandirent partie d’eulx à terre auecques desdites peaulx, Et traficquèrent ensemble et demenèrent vne grande et merueilleusse joye d’auoir et recouurer desdits ferrements et aulstres chosses, dansans et faissant plusieurs serymonyes, en gectant de la mer sur leur testes auecques leurs mains, et nous baillèrent tout ce qu’ilz avoint, tellement qu’ilz s’en retournèrent touz nulz, sans aulcune chose auoir sur eulx, et nous fidrent signe que le landemain retourneroint auecques d’aultres peaulx.
Le jeudi, VIIIe dudit moys, pour ce que le vant n’estoict bon pour sortir o nos nauires, esquippames nosdites barcques pour allez descouuriz ladite baye, et courumes celuy jour dedans enuiron XXV. lieues; Et le landemain, au matin, eumes bon temps et fysmes porter jusques enuiron dix heures du matin, à laquelle heure eusmes congnoissance du font de ladite baye, dont fusmes dollans et masriz; au font de laquelle baye y abuoict par dessur les bassez terres des terres à montaignes moult haultes; et voyant qu’il n’y abuoict passaige, commanczames à nous en retournez. Et faisant nostre chemyn le long de la coste, vismes lesdits sauuaiges sur l’orée d’un estanc et basses terres, qu’ilx fessoint plusieurs feuz et fumées. Nous allames audit lieu et trouuames qu’il luy abuoict une entrée de mer qui entroict oudit estanc, et mysmes nosdites barcques d’un costé de ladite entrée. Lesdits sauuaiges passèrent o vne de leurs barcques et nous aportèrent des pièces de lou marin tout cuict, qu’ilz mysrent sur des pièces de bouays, et puis se retirèrent, nous faissant signe qu’ilz les nous donnoint. Nous enuoyasmes deux hommes à terre avecques des hachotz et cousteaulx, patenostres et aultre marchandie, de quoy ilz demenèrent grande joye; Et incontinant passèrent alla foulle, o leurs barcques, du costé où estions, auecques peaulx et ce qu’ilz abuoint pour abuoir de nostre marchandie; et estoint en numbre, tant hommes, femmes que enffens, plus de troys cens, dont partie de leurs femmes que ne passèrent, danczoint et chantoint, estantes en la mer jusques aux jenouz. Les aulstres femmes qui estoint passées de l’aultre costé où estions, vindrent franchement à nous et nous frotoint les bratz auecques leurs mains, et puix leuoint les mains joingtes au ciel, en fessant plusieurs signes de jouaye; et tellement se assurèrent auecques nous que enfin marchandames, main à main auecques eulx, de tout ce qu’ilz abuoint, qui est chose de peu de valleur. Nous congneumes que se sont gens qui seront fassilles à conuertir, que vont de lieu en aulstre, viuant et prenant du poysson au temps de pescherie pour viure. Leur terre est en challeur plus temperée que la terre d’Espaigne, et la plus belle qui soict possible de voir, et aussi eunye que vng estanc. Et n’y a cy petit lieu vide de bouays et fust sur sable, qui ne soit plain de blé sauuaige, qui a l’espy come seilgle et le grain conme auoyne, et poys aussi espez conme si on les y abuoict semez et labourez, grouaiseliers blans et rouges, frassez, franbouaysses et roses rouges et aultres herbez de bonne et grande odeur; paroillement y a force belles prairies et bonnes herbes et estancq où il luy a force saulmons. Je estime mielx que aultrement que les gens seroint facilles à conuertir à nostre saincte foy. Ilz appellent ung hachot en leur langue Cochy et ung cousteau Bacan. Nous nonmames ladite baye, la baye de Chaleur.
Nous estans certains qu’i n’y auoit passaige par ladite baye, fysmes voille et aparoillames de ladite conche Sainct Martin, le dimanche, douziesme jour de Juillet, pour allez charcher et decouvriz oultre ladite baye; et fysmes couriz à l’Est le long de la coste, qui ainsi gist enuiron dixouict lieues jusques au cap de Pratto. Et là trouuames vne merueilleuse marée, petit fontz et la mer fort malle, Et nous conuint serrez à terre entre ledit cap et une ille qui est à l’Est d’iceluy, enuiron vne lieue; et là possames les ancrez pour la nuyt. Et le landemain, au matin, fismes voille pour debuoir rangez ladite coste qui gist Nort Nordest; mais ils souruint tant de vant controire, qu’i nous conuint relacher de là où nous estions partiz et y fusmes ledit jour et la nuyt jusques au landemain que fismes voille, et vysmes le treuers d’une ripuiere qui est a cinq ou seix lieues dudit cap au Nort. Et nous estans le trauers d’icelle ripuiere, nous vint le vant controire et force bruymes et nonveue, et nous conuint entrer dedans icelle riuyere, le mardi, XIIIIe jour dudit moys, et posames à l’entree jusques au XVIe, esperans auoyr bon tempz de sortye. Et ledit jour XVIe, qui est Jeudi, le ven renfforça tellement que l’un de nos nauires perdyt un ancre, et nous conuynt entrer plus auant, sept ou huit lieues amont icelle riuiere, en vng bon hable et seur que nous auions esté voyr auec nos barques. Et pour le mauueys temps accauze et nonveue qu’il fist, fusmes en icelluy hable et ryviere jusques au XXVe jour dudit mois, sanz en pouuoyr sortyr; durant le quel temps nous vint grant nombre de sauuages qui estoient venus en ladite riuiere pour pescher des masquereaulx, desquelz il y a grant habondance; et estoient tant hommes, femmes que enffans plus de deux cens personnes qui auoyent envyron quarente barques, lesquelz après auoyr vng peu (esté) à terre auecques eulx, venoyent franchement auec leurs barques aborder prez de noz nauyres. Nous leur donnasmes des coulteaulx, pastenostres de voyrre, peignes et aultres besongnes de peu de valleur; de quoy faisoient plusieurs signes de joyes, leuant les mains au ciel en chantant et dansant dedans leurs barques. Celle gent se peult nommer sauuaiges, car c’est la plus pouure gent qu’il puisse estre au monde, car tous ensemble n’auoyent la valleur de cinq solz, leurs barques et leurs raitz à pescher hotez. Ilz sont tous nudz, reserué une petite peau de quoy ilz couurent leur nature, et aulcunes vielles peaulx de bestes qu’ilz gectent sur eulx en escharpes. Ilz ne sont point de la nature ny langue des premiers que auions trouué. Ils ont la teste touzée à reonz tout à l’entour, reserué vng rynet en le hault de la teste qu’ilz laissent long comme vne queue de cheual, qu’i lyent et serent sur leurs testes en vng loppin avecques des coroyes de cuyr. Ilz n’ont aultre logis que soubz leurs dites barques qu’ilz tournent, auant de se coucher, sur la terre. Dessoubz icelles ilz mangent leur chair quasi crue, après estre vng peu eschauffée sur les charbons et pareillement leur poisson.
Nous fusmes le jour de la Magdelaine o noz barques au lieu où ilz estoient sur l’orée de l’eaue, et descendismes franchement parmy eulx, de quoy ilz demenèrent grand joye et se prindrent tous les hommes à chanter et danser en deux ou troys bandes, faisant grant signe de joye de nostre venue. Mays ilz auoyent fait fouyr toutes les jeunes femmes dedans le boys, fors deux ou troys qui demeurèrent, à qui nous donnasmes chacun vng pigne et à chacune vne petite clochette d’estang, de quoy ilz firent grande joye, remercyant le cappitaine en lui frottant les bras et la poictryne avecques leurs mains; Et en voyant que il auoyt donné à celles qui estaient demourées, firent venir celles qui estoient fuyes au boys, pour en auoyr autant comme les aultres, qui estoient bien vne vigtaine qui se assemblèrent sur ledit cappitaine, en le frottant auec leurs mains, qui est leur façon de faire chere, et il leur donna à chacune sa petite rangette d’estaing de peu de valleur; Et incontinent se assemblèrent ensemble à deuiser et dyrent plussieurs chanssons. Nous trouvasmes grant quantité de macquereaulx qu’ilz auoyent pesché bien à bor de terre, auecques des raiz qu’ilz ont à pescher, qui sont de fil de chanure qui croist en leur pays, où ilz se tiennent ordinairement, car ilz ne vyennent à la mer que au temps de la pescherye, ainsi que j’ay sceu et entendu. Pareillement y croist de groz mil, comme poix, ainsi que au Bresil, qu’ilz mangent en lieu de pain, de quoy ilz auoyent tout plain aueques eulx, qu’i nomment en leur langaige Kagaige; pareillement ont des prunes qu’ilz sechent, comme nous faisons, pour l’yuer, qu’i nomment Honesta, les figues, noix, poires, pommes et aultres fruitz et des febues qu’i nomment Sahe, les noix Daheya, les figues Honnesta, les pommes…. Se on leur monstre aucune choses de quoy ilz n’ayent point et qu’i ne sçauent que c’est, ilz secouent la teste et dyent Nouda, qui est à dire qu’il n’y en a point et qu’ilz ne sçauent que c’est. Des choses qu’ilz ont, ilz nous ont monstré par signes la façon comme il croyst et comme ilz l’acoustrent. Ilz ne mangent jamays chose où il y ait goust de sel. Ilz sont larrons à merueilles de tout ce qu’ilz peuuent desrober. »
[1] Selon “A memoir of Jacques Cartier, sieur de Limoilou, his voyage to the St. Lawrence, bibliography and a facsimile of the manuscript of 1534”, Cap d’Espérance est maintenant Point Miscou. Ce nom a d’ailleurs eu une légère modification et est devenu « Cape Despair »… et a même changé de position, vers la péninsule de Gaspé (Cap d’Espoir!) p. 103
[2] Selon la même source, cette pointe est celle de Paspébiac, que Cartier aurait découverte autour du 6 juillet ce que l’abbé Verreau identifie comme étant la Fête de la Transfiguration.